Quelques indications sur l'origine de la corne de Cornimont
( issues des notes d' Alphonse Didier)
A quoi servait donc cet objet singulier ?
En examinant les deux extrémités, il est facile de constater que l'une et l'autre ont été grossièrement détériorées. La tradition, appuyée par de vieux témoins, affirme que cette Corne était garnie d'argent à son embouchure et à son pavillon, il y a moins d'un siècle.
Un vandale l'aurait dégradée pour s'emparer de sa garniture. Depuis l'An 1860, des jeunes gens l'ayant demandée au secrétaire de mairie pour faire un charivari à un veuf, en se l'arrachant des mains, lui en enlevèrent une longueur de près de 0,10m. Pendant longtemps, avant que la communauté puisse disposer d'une cloche, la Corne servait de cor d'appel pour les assemblées du Plaid.
Du haut d'un pic de rocher, nommé Roche du Counou, qui composait la moitié de la maison Creusot fruitier, et de son garage, bâti vers 1922, (dont on apercevait encore le reste avant cette construction), depuis la grande rue dominant la Moselotte à un point où elle se précipitait autrefois dans des gouffres affreux à une quarantaine de mètres du Pont du Daval, sur la rive droite, le Counou (Corneur) convoquait les habitants des groupes épars de Cherménil, Xoulces, Champs à Nabord et du Daval. Quand on pu se procurer une première cloche, elle ne servit plus que pour l'apériteur.
C'est bien heureux que cet objet n'ai pu trouver d'acquéreur dans le cours du siècle passé, car la communauté possédait en même temps, d'après un compte-rendu par le maire By (Barthélémy) Germain le Jeune de Xoulce en 1732, un fuail en commun qui fut vendu sept livres; notre corne aurait bien pu figurer dans une riche panoplie.
Je ne serais pas loin d'accepter sur la provenance de ce monumental cor de chasse (car peut-il être autre chose?) la tradition locale, transmise d'âge en âge dans les piquants récits des veillées d'autrefois.
Un grand seigneur aurait perdu ce cor dans une chasse et quelqu'un aurait retrouvé cet objet qui serait resté en sa possession jusqu'au jour où la communauté le lui aurait demandé pour l'usage précité. Selon une autre version, elle aurait été laissée à Cornimont pour le chasseur attitré des Ducs de Lorraine et l'Abbaye de Remiremont. Les Ducs eurent pendant longtemps le droit de monopole sur les chasses dans certains de nos cantons réservés à ce sujet jusqu'au XVIIIème siècle.
Quand la tradition veut préciser et désigner le grand seigneur à qui le cor était dû, elle n'hésite pas; c'était Charlemagne. On peut trouver à l'excès des souvenirs du grand empereur dans nos Hautes Vosges; on rencontre son nom à une source, à un rocher, à un passage, etc…
La légende ressemble à cela à l'usure, elle ne prête qu'au riches, quoique les excursions de ce prince ne soient pas du tout légendaires dans nos forêts vers le VIIIème et le IXème siècles, dernier refuge des grands animaux qui commençaient à devenir rares.
Cependant un trophée aussi précieux ne pouvait être donné ou perdu par un roi ou un grand prince; la tradition certaine ne peut la rattacher qu'à un des puissants chasseurs qu'attiraient nos montagnes boisées. Est-ce Charlemagne ? (1) Gérard d'Alsace, quelques sires de Faucogney (2) ou même un autre Charles le Grand, Charles III le Magnifique Duc de Lorraine (3).
Il y a certainement une relation entre notre vieille corne et le nom du village qui la possède : Cornimont. C'est à dire le mont de la corne. D'après l'orthographe adoptée par les écrivains publics, on le trouve écrit Cornimont, Cornilmont, Cornemont, Corgnimont, même Conemont dans un acte passé (1480). En tout cas chacun de ces noms sent la corne (Couône en patois et en counhais ses habitants).
(1) Une excellente source située sur l'ancienne route de La Bresse à Remiremont, presque à la jonction des trois vallées : La Bresse, Xoulce et Ventron Travexin, en aval de la Bouxenaire (captée par la ferme Mairie Françoise, aujourd'hui aux enfants Hérôme Gehin) passe pour avoir désaltéré Charlemagne et se trouve dans une de ses chasses et ses successeurs après lui.
(2) Il paraît que Cornimont, dépendance de la seigneurerie de Fougerolles, a fait partie de l'immense baronnie de Faucogney qui possédait aussi le château Lambert.
(3) Par lettre du 15 février 1578/1579, le duc Charles III accorde aux habitants de Cornimont de pouvoir "à leur loisir, chasser aux montagnes et lieux qui leur sont proches et circonvoysins, à leur meilleur advantage et commoditez".