Coup d’oeil sur l’organisation de cette garde nationale au début de la guerre de 1870, décrétée par ordre du gouvernement impérial et continué par celui du 4 septembre jusqu’à l’invasion.
Etaient incorporés tous les hommes valides, jusqu’à 40 ans, qui n’avaient pas été rappelés. Toutes ces formations communales avaient elles-mêmes formé leur cadre d’officiers et de sous-officiers. Cornimont d’après son effectif, avait deux compagnies commandées chacune par deux capitaines. Pour la première, c’était Eugène Nicolas de Xoulces et le vieux père Valdenaire notaire, pour la 2° Camille Hubert et Juste Didier, mon père. Je ne me souviens que d’un lieutenant, Denis Jeanpierre (dit Caputchi) et comme sergent major Constant Germain (Titine Michel). Ces cadres certainement avaient été agréés par la préfecture.
Une ou deux fois par semaine, ils se rendaient sur la Place pour faire l’exercice et former un troupier : mouvement des jambes et des bras, pas de gymnastique et le rie quelque temps après. Ils commençaient même l’escrime, lorsque l’invasion y mit fin. Quelques vieux soldats auxquels on avait rendu leurs galons, gagnés à l’active, commandaient ces manoeuvres avec quelques autres nommés par privilège.
Nous, gamins, en sortant de l’Ecole, nous amusions à les regarder et écouter leur commandement. Celui d’un sergent appelé Yémoué, attira surtout mon attention ; il faisait faire à sa section le mouvement des jambes avec les mots suivants, assez brefs : Ette zig, ette zog, ette zig ette zog, ette zig et zog etc... qu’il me semble encore entendre après 67 ans.
Une autre section, entraînée par un ancien caporal appellé Pré Djedjé, s’entrainait au pas gymnastique. Ce pauvre vieux se rendait à ses appels avec ses frusques de travail, acheté à courte gueule, jaquette et treillis rayé à grands girons, comme l’habit, dont les poches du bas derrière, alourdies d’un côté par son matériel de fumeur, et de l’autre par son couteau et son morceau de pain noir, s’ébattaient à chaque pas de course à droite et à gauche et de gauche à droite suivant le mouvement du corps et le balancement des bras. La silhouette de cet homme courant sur le flanc de ces hommes aurait mérité d’être croqué par un photographe, s’il y en avait eu à ce moment-là.
Nous, gosses, nous ne pouvions nous empêcher de rire aux éclats mêlant nos rires à ceux de quelques vieux pères qui s’amusaient aussi à les regarder, ainsi que quelques commères affichées sur leur porte, la main sur la hanche.
Il est à noter que ces hommes, tout en provoquant au début de leur instruction militaire, quelque hilarité, se seraient trouvés équipés et encadrés par des soldats de l’active, auraient fait leur devoir sur le front; il y avait encore du patriotisme en ce moment-là.
Je vais vous parler de notre éclairage, de l’ancienne lampe à huile en étain massif, que j’ai vue à la maison pendant les cinq, six premières années; le fond contenant le récipient d’huile, au-dessus était une colonne dans laquelle était ménagée une pompe à bouton qu’on manœuvrait de temps en temps pour faire monter l’huile autour de la mèche. Près de cette lampe était disposé l’indispensable ciseau, avec une lame à poche, pour enlever la mèche carbonisée qui gênait l’éclairage, on l’appelait en patois lé moutchou. Mon père la remplaça par une lampe à essence, qui donnait une clarté éblouissante, mais d’une manipulation délicate; cette première essence livrée au commerce était très volatile; j’ai vu, lorsqu’on rechargeait la cuvette, être obligé de faire cette opération le jour ou sans cela le soir à la clarté d’une autre lumière; on était obligé de s’écarter d’au moins cinquante à soixante centimètres, sans cela le feu sautait au liquide gazeux. Celle d’aujourd’hui n’est plus si dangereuse. Deux ans plus tard, en suivant un peu le progrès, il fit l’acquisition de notre première lampe à pétrole, celle d’essence ne servant plus que pour aller d’une chambre à l’autre. Cette lampe est encore celle que j’ai dans ma petite chambre : ayant supprimé le bac à mèche enfermé du verre de lampe par une garniture de douille à ampoule électrique qu’on a aujourd’hui.
Après la rentrée du Ier octobre, pendant un automne pluvieux, nous voyions matin et soir le charretier de Georges Perrin appelé Joseph Aïe (Germain) conduire des crasses, des déblais avec un tombereau attelé à un cheval fougueux. Il versait ses crasses au bout des anciens moulins Blaison dans le premier gouffre qui se trouvait autrefois sous le barrage des dits moulins, qui a même été considéré comme cascade et relaté dans la géographie des Vosges de Louis Louve. Une pièce de bois carrée arrimée par deux piquets plantés en terre arrêtaient les roues au recul de la voiture, à un mètre du devant d’un mur de soutènement, à une hauteur d’un moins cinq mètres en bordure de la rivière. Sortis de l’école à quatre heures, nous rentrions chez nous par la route du Droit, lorsque nous fûmes attirés par les cris du voiturier. Le cheval reculant par un effort violent fit passer les roues au dessus de l’arrêt et nous vîmes tombereau et cheval pirouetter en l’air et s’affaler dans ce trou d’eau. Le voiturier, aussitôt aidé de quelques hommes qui se trouvaient là, demande une hache et se laisse glisser sur la piste d’un rocher tout près du cheval qui se débattait dans sa limonière, les pattes en l’air. Impossible de le dételer, il coupe les branches de limon à coups de hache et la bête libre retombe au milieu du gouffre, où elle disparaît une minute, surnage et son conducteur se jette à l’eau à son tour, la saisit par le mors, et les voilà tous deux la tête seule émergeant hors de l’eau, suivant le cours de ces eaux furieuses, lui de temps en temps nageant de son bras gauche cherchait à se maintenir au dessus de l’eau. Ils arrivèrent ainsi tout près du petit barrage servant au petit moulin Prix Curien où s’est élevée la maison des Compia. Là, il parvint à faire prendre au cheval la direction d’un accès à la rivière ménagé pour abreuver le bétail, pendant que de l’autre côté, les compagnons de Georges Arnould, cordonnier, qui habitait la grosse et ancienne maison Marion, se tenant par la main dans le sens du courant vinrent arrêter au passage les harnais qui allaient disparaître et les lièrent sur la berge de leur côté. C’est un tableau, lorsque j’y songe, qui se représente aussi vivant que le premier jour avec notre anxiété jusqu’au moment de leur sortie de l’eau.